Le Rap japonais

En ce qui concerne la musique japonaise, on entend souvent parler de J-pop, mais plus rarement de J-Rap. Et c’est dommage car il y a une importante scène Rap japonaise. Et même si les musiques s’exportent encore peu hors du territoire, croyez-moi elles valent la peine d’être connues. Donc si vous vous intéressez au Rap en général, mais que n’avez pas encore vraiment découvert le rap japonais, cet article est pour vous !

Un bref historique.

La mythologie du Rap au Japon remonte aux années ’80 lorsque le film américain « Wild Style » est sorti dans les salles de cinéma japonaises et a provoqué un électrochoc et un engouement parmi la jeunesse tokyoïte de l’époque. À cette période, plusieurs artistes japonais revenant des États-Unis rapportent également avec eux des impressions positives sur ce nouveau mouvement et tentent de l’importer sur l’archipel. Ce dernier commence donc à prendre racine dans les quartiers branchés de Tokyo, notamment Shibuya et Harajuku et va au fil des années s’étendre à tout l’archipel nippon.

Aujourd’hui, le J-Rap a fait des enfants partout sur l’île : D’Okinawa avec la chanteuse Awich, avec Shingo Nishinari et Anarchy sur Osaka et jusqu’à Sapporo avec Tha Blue Herb sans oublier Tokyo bien sûr d’où proviennent la majorité des rappeurs actuels.

Le nouvel Eldorado nippon.

Le J-Rap a mis du temps avant de développer sa propre scène musicale. Mais depuis les années 2000, la péninsule japonaise ne se contente plus d’écouter du Rap d’importation, elle en produit. Fini la copie, place à la création originale. Cette scène Rap n’a cessé depuis lors de se développer avec l’apparition de nombreux artistes qui remplissent toutes les niches musicales disponibles. On trouve désormais du soft Rap, de la Trap, du Rap underground et trash en passant par du Rap aux sonorités plus Jazz ou Rock et du « party » Rap.
Cette diversité est le résultat d’une très bonne réception de la part d’un public japonais de plus en plus abreuvé de culture et de musique Hip-hop occidentale.

Et ce nouvel attrait se répercute dans la multiplication des collaborations musicales entre artistes américains et japonais qui n’hésitent pas à combiner styles et différences linguistiques pour aboutir à des sons atypiques.

Le style japonais.

Le Rap est un mouvement musical à l’image du pays où il est né. Comme c’est une musique souvent contestataire, ses textes révèlent en général les difficultés d’une communauté ou d’un groupe ethnique. Au Japon, rien de tout ça du coup même s’il y a tout de même quelques rappeurs issus de la communauté coréenne. On n’y trouve pas de ghetto ethnique ou sociaux, de discrimination raciale prononcée, de pauvreté extrême, rien qui pourrait vraiment justifier qu’une musique comme le Rap émerge facilement et qu’une partie de la population décide de s’exprimer en musique sur ses problèmes.

Par conséquent, le Rap japonais dans son ensemble est bien plus épuré et bien moins agressif que son alter-ego américain. On est souvent loin du concours pour ramener les meilleurs bonasses dans ses clips vidéo ou du défilé du plus gros calibre. Dans les textes ou les clips, on voit aussi relativement peu de clashs entre rappeurs ou gangs rivaux, d’appel à la violence ou de vulgarité et d’autres choses de ce genre. Le style japonais quoi ! Comme quoi on peut faire du rap sans forcément y inclure tout ce que je viens de citer. Après bien sûr, il y a de tout dans le rap japonais. Dans les clips de Kowichi notamment il y a souvent de la bonasse !

Autrement, les textes parlent souvent de problèmes banaux de la vie de tous les jours, du rejet du mode de vie japonais, souvent jugé trop contraignant, ou revendiquent leur fierté pour leur ville/région. En revanche dans le milieu, on arbore fièrement ses tatouages quand on en a, chose très peu habituelle dans un pays où il est mal vu de sortir du lot de façon extravagante.

Le style japonais se caractérise également par une spécificité évidente : Les rappeurs japonais rappent en japonais. Et pour ceux qui s’y connaissent un peu en japonais, vous savez la difficulté d’écrire des rimes et des punchlines efficaces en japonais. Désormais beaucoup de rappeurs japonais ont su trouver et peaufiner un style qui leur est propre au niveau des lyrics.
Aujourd’hui, les rappeurs japonais assument totalement l’estampille « Made in Japan » même si bien sûr on peut toujours entendre quelques rimes en anglais et des remix de sons U.S. Assimilation et réappropriation des codes.

Le phénomène Kohh.

S’il y a bien un rappeur japonais dont il faut connaître le nom, c’est Kohh. Il est certainement le rappeur le plus connu au Japon et en dehors. À 27 ans, le rappeur originaire de Tokyo est le véritable ambassadeur du Rap japonais sur l’archipel et à l’international. C’est un artiste complet qui s’intéresse aussi à la mode et notamment à la Fashion Week parisienne. Il a même déjà fait des concerts dans notre capitale. Voici le lien d’un article qui lui est consacré sur le site Views si vous voulez en savoir plus sur lui.

Son parcours atypique et difficile (milieu social défavorisé, mère droguée et père qui s’est suicidé) en ont fait un candidat parfait pour devenir un rappeur légitime. Déjà connu au Japon, son apparition en 2015 dans le clip « It G Ma » de Keith Ape, un rappeur coréen va le propulser sur le devant de la scène Rap mondiale. Dès lors, son nom arrive en tête de liste dès qu’on s’intéresse un peu au Rap nippon et après 4 albums et à peu près autant de mixtapes et de featurings avec des artistes américains comme J $tash, il apparaît à présent comme incontournable dans le milieu.

Sa musique est variée et inclus des sonorités Trap, Punk, Gangsta Rap et parfois des balades douces et posées. Ses textes sont profonds, directs et percutants. Sa musique parle de vrais problèmes tout en incitant à l’optimiste et ses punchlines restent en tête facilement. Un artiste à suivre de près, ce que je vais faire ! Si vous cherchez une porte d’entrée pour découvrir le Rap japonais, c’est l’artiste qu’il vous faut. Beaucoup de ses clips sont sous-titrés en anglais pour être plus faciles d’accès.

La culture Hip-Hop au Japon.

Comme vous le savez, le Rap est un genre musical. Le Hip-hop c’est tout le reste, toute cette culture qui l’entoure : La danse, le graffiti, la façon de s’habiller, les mix de DJs, etc. Et cette culture réussit à percer de manière de plus en plus significative au Japon. Sans diverger du sujet donc, il est intéressant de constater que les Japonais n’ont pas adopté que le Rap mais aussi toute cette culture Hip-hop qui vient avec, si différente de leur culture nippone. Sortir dans certains quartiers branchés ou en boites de nuit par exemple, permet de se rendre compte de ce choc vestimentaire entre des Japonais habillés sobrement et uniformément dans la vie de tous les jours et l’extravagance dont ils sont capables de faire preuve parfois. Parmi les adeptes de Hip-hop, on observe fréquemment un mélange de culture Hip-hop et de Neo-Punk à la japonaise, un mix unique et très intéressant : Dreadlocks, tattoos, baggys, casquettes, métaux lourds, chapeaux bizarres, on trouve de tout.

Le style un peu WTF du groupe KiLLA.

Le Rap féminin.

N’oublions pas les femmes car le milieu du Rap, au Japon comme ailleurs, n’a jamais été exclusivement masculin. Au Japon, on trouve aussi un panel d’artistes femmes proposant des styles et des sons très variés. J’en citerai trois : Chanmina (ちゃんみな) une jeune artiste half de 18 ans qui fait du Rap en mode ghetto princesse. Elle débute, alors elle est un peu la révélation de l’année à suivre. Et sinon Awich, que j’ai cité plus haut, la rappeuse d’Okinawa avec un style plus américain. Elle rappe assez souvent en anglais d’ailleurs et a fait pas mal de collabos avec des rappeurs américains. Enfin, il y a COMA-CHI qui elle, fait du Rap un peu Old School.

Où écouter du J-Rap ?

Le J-Rap n’est pas encore un courant musical mainstream sur la péninsule nippone. Bien qu’il soit en pleine expansion ces dernières années, il est beaucoup moins promu que la J-Pop qui est bien plus commerciale. Du coup, il faut savoir rester à l’affût car la com’ se fait souvent par les artistes eux-mêmes ou leurs boites de prod’ sur Internet et les réseaux sociaux, YouTube en tête. À vous de fouiller un peu et d’apprendre un peu de japonais par la même occasion !
Les concerts et lives en boites de nuit au Japon restent évidemment un excellent moyen de découvrir des artistes méconnus. Ils contribuent aussi grandement à rassembler les fans et à fédérer cette communauté underground en plein boom. Rien de tel qu’un live de J-Rap dans une boite de nuit underground d’Osaka pour ressentir cette atmosphère unique.

Qui écouter ?

Je termine cet article en vous donnant encore quelques idées d’artistes à écouter, tout en précisant bien sûr que tous les goûts sont dans la nature, surtout au niveau musical. Je me contente donc juste d’apporter un modeste éclairage personnel sur un genre musical que j’aime en général et forcément j’ai tendance à parler plus de ce que j’apprécie. Voici donc quelques artistes et tracks à écouter selon moi :

Shingo Nishinari est un rappeur du Kansai qui joue beaucoup la carte « fier du ghetto » dont il est issu. Il est très connu dans la région et sa chanson « Osaka Up » est un véritable hymne à sa ville et son quartier, Nishinari. Le clip est bourré d’endroits emblématiques d’Osaka que vous reconnaîtrez facilement si vous y êtes déjà allé.

KiLLa, c’est le groupe en vogue du moment que j’écoute en boucle, surtout leur chanson « Louder« . Leur style musical est plutôt posé en général mais tire parfois sur le What the Fuck! Ils ont aussi sorti une autre chanson qui s’appelle « Murimuri » et dont les paroles sont assez drôles à écouter. Je suis allé les voir en concert à Osaka et ça pétait bien !

Dans un style plus léger, il y a aussi Punpee, un rappeur assez posé avec des rythmes enjoués et facilement écoutable par tous. Kreva également qui est classé comme rappeur mais dont la musique est très calme

Norikiyo, lui est plutôt axé sur des sons EDM et House. Sa musique est en général assez calme et même si ses textes sont assez basiques, j’aime beaucoup son flow.

Kowichi est un rappeur qui copie parfaitement le Rap américain actuel. On dirait du Chris Brown mais avec un peu plus d’Auto-Tune et en japonais.

Dekishi n’est pas vraiment un rappeur, il fait du Grime, un style musical né en Angleterre à Londres et dérivé du Rap qui consiste à tout focaliser sur un flow rapide sans refrain souvent, avec une musique assez répétitive en fond. Écoutez c’est très intéressant.

AKLO a aussi un très bon flow et utilise des beats puissants. Sa musique passe très bien je trouve. Il a fait pas mal de collabos avec d’autres rappeurs japonais dont Kohh.

WILYWNKA un rappeur très en vogue ces derniers temps et qui produit des sons assez variés, avec des instrus tantôt rap, tantôt posées.

Ryuzo aussi utilise des sons assez éloignés du Rap classique avec des chorus un peu gospel en fond comme dans « Hate my life » ou encore dans cette autre chanson « The story » et parle de sujets de la vie de tous les jours et notamment des relations avec les femmes.

Rau Def rappe assez vite et avec un timbre de voix très particulier. Je ne saurai pas dans quelle catégorie classer son Rap, mais j’aime bien les musiques qu’il choisit.

Voilà pour ces quelques références qui j’espère vous aideront à découvrir le Rap japonais ou à en découvrir plus sur le sujet.

Je vous invite aussi à mater ma dernière vidéo sur le rap japonais sur ma chaîne YouTube. N’oubliez pas de vous abonner !

Pour finir, je dirai que les rappeurs japonais de ces dernières années constitueront sans aucun doute les références culturelles de demain et permettront ainsi à ce mouvement de continuer à mûrir et à se diversifier toujours plus. Les Japonais ne sont jamais à court d’imagination et ne se sont pas longtemps contenté de copier. Ils ont déjà bien innové et réinventé l’existant. Par conséquent, le Rap japonais a de beaux jours devant lui et le Japon pourrait bien devenir dans les prochaines années un nouveau hub incontournable du Rap et de la culture Hip-Hop mondiale.

En tout cas, c’est ce que j’espère.

À bientôt sur MycrazyJapan !

 

3 Comments

  1. Salut, de passage sur ton blog, obligé de m’arrêter ici étant dans une période où j’écoute pas mal de rap.

    Autant j’ai pu remarquer récemment que dans le milieu de la musique japonaise, le rap est un univers où les petits labels sont très actifs, avec pas mal de mixtapes distribuées en concert, un peu comme le modèle américain… autant le rap est loin d’être quelque chose d’uniquement underground. Des groupes comme Scha Dara Parr, Rip Slyme ou Rhymester (ou dans un style moins résolument rap mais proche m-flo…) ont eu des périodes de gros succès national, pas mal d’artistes résolument pop se sont lancés sur ce genre comme Sky-hi, le tout très largement inspiré des succès américains.
    Globalement comme ce qui est le cas dans l’univers du rock, on trouve un peu deux facettes : l’une très pop, japonisée pour le marché intérieur, l’autre bien plus fidèle aux classiques étrangers et résolument underground. Après, en fonction des gens, ces frontières sont poreuses évidemment.

    Pour ce qui est des artistes, je vois que tu n’as pas cité S.L.A.C.K., le petit frère de Punpee, gros nom tant dans le rap que dans les productions, et dans la bande proche de ces deux, ISSUGI, Monju et le producteur Budamunk.
    Dans les sorties récentes, c’est JJJ qui m’a très vite séduit avec son nouvel album qui me semble déjà un des meilleurs de l’année.
    En féminin ont peut citer aussi les Charisma.com, bien qu’elles lorgnent largement sur la pop, et mon petit plaisir de lol, l’étonnante Akko Gorilla loin de n’être qu’un gimmick.

    • Salut Mokobien ! Le but de cet article était de faire la part belle au rap, au vrai pour le différencier de la pop. Bien sur des tas d’artistes japonais flirtent à la limite des deux genres mais j’ai choisi de me concentrer sur ceux qui sont en bout de spectre. Et pour le coup c’est vraiment un mouvement underground. Pour ce qui est des artistes, j’ai nommé clairement ceux pour qui j’avais une préférence et j’ai aussi favorisé la modernité donc oui c’est clairement un listing non-exhaustif et subjectif. Je connais certains des noms que tu cites bien sûr. Pour les autres je vais écouter et peut être les ajouter à la liste s’ils valent le coup ^^. En tout cas merci pour le com’ et d’être passé faire un tour sur mon blog !

Laissez un commentaire !

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.